La capitulation générale de 1803 signée entre la République consulaire française et la Diète helvétique : entre tradition et innovation
Une capitulation générale (1), c’est-à-dire un traité militaire conclu entre les cantons suisses et les gouvernements alliés permettant de lever des troupes auxiliaires suisses pour le service des puissances contractantes, fut signée entre la France et la République helvétique en 1803. Ce besoin de corps auxiliaire s’était fait sentir dès novembre 1798 avec l’engagement de demi-brigades helvétiques, mais en 1803, à nouveau, des régiments suisses capitulés allaient servir sous les armes françaises. Une telle reconnaissance, bien qu’en 1792, les Suisses, symboles de la monarchie, aient été soit massacrés, soit renvoyés dans leur foyer, est le fruit d’une part, d’une longue tradition mais aussi d’un besoin d’établissement d’Etats tampons aux frontières de la France et d’hommes pour garantir les prochaines victoires militaires du futur empereur des Français.
Dès le XVe siècle, le recrutement des troupes suisses fut subordonné à la passation d’un traité, une capitulation, entre les rois de France et les cantons suisses.
Louis XI fut le premier à engager des troupes suisses à son service, suite à des négociations débutées en 1465 avec Nicolas de Diesbach, qui aboutirent, en février 1477, à une convention par laquelle les 13 cantons suisses s’engageaient à fournir des gens armés. Les capitulations, qui suivirent, fixaient pour chaque canton et le roi de France, les modalités de recrutement et de service de ces Suisses se battant pour le roi, d’abord pour le temps d’une campagne puis de façon permanente. En vérité, chaque régiment d’infanterie suisse avait sa propre capitulation. Et pendant près de quatre siècles, un million de Suisses allaient servir en France (2).
Parallèlement, Louis XI avait voulu conserver un certain nombre de ces gens armés pour sa garde ordinaire. Ainsi fut créée en 1481, la compagnie des Cent-Suisses qui prit le nom en 1495 de compagnie des Cent hommes de guerre suisses de la Garde. Ils avaient la garde de l’intérieur du palais et celle rapprochée du roi.
En 1516, une paix perpétuelle fut conclue à Fribourg après la bataille de Marignan, où des troupes suisses avaient montré leur valeur combative contre les troupes de François Ier. Le 5 mai 1521, une alliance perpétuelle fut signée, ouvrant la voie de l’institution des troupes suisses capitulées.
À la tête des contingents recrutés, d’abord pour la durée d’une campagne, fut bientôt placé un chef de guerre unique, le colonel général des Suisses. Devenu permanent en 1571, cet office donnait le commandement général et l’autorité sur toutes les troupes suisses au service du roi, à l’exception des Cent-Suisses. Au XVIIIe siècle, le colonel général assurait des fonctions de médiateur entre la France et les cantons et non plus un commandement effectif.
Après les régiments suisses d’infanterie et les Cent-Suisses, fut crée, en 1616, le régiment des gardes suisses pour veiller à la sécurité du jeune roi Louis XIII, suite à une décision prise par la régente Marie de Médicis. Le régiment des gardes suisses passait immédiatement après celui des gardes françaises. Divisé en quatre bataillons et douze compagnies, ce régiment avait pour fonction de contribuer à la protection du souverain, d’assurer la protection du dehors, par opposition à la compagnie des Cent-Suisses, en alternance avec les gardes françaises.
C’est sous Louis XIV, que les régiments étrangers, levés le temps d’une campagne, devinrent permanents.
Les régiments suisses d’infanterie regroupaient 12 888 Suisses en 1760 contre 2 324 dans le régiment des gardes (4). Les troupes suisses que la France entretenait avaient été levées par différents cantons, les uns traitant séparément, les autres se regroupant pour lever et entretenir ensemble un ou plusieurs régiments. En 1751, la liste des différents régiments (5) suisses était celle-ci :
- le régiment de Betten levé en 1661 sous le nom d’Erlabach ;
- le régiment de Fegelin-Seedorff crée en 1672 sous le nom de Pierre Stoppa ;
- le régiment de Monnin levé en 1662 par Rodolphe de Salis de Zizters ;
- le régiment de Vigier levé en 1672 par François Pfiffer ;
- le régiment de Wittner levé en 1672 par Wolfgang Greder ;
- le régiment de Balthasar crée par Jean Baptiste Stuppa ;
- le régiment de Diesbach levé en 1689 sous le nom de Salis-jeune ;
- le régiment de Courten levé en 1689 par Jean-Étienne de Courten ;
- le régiment de Karrer crée en 1721 pour servir aux colonies ;
- le régiment Grison de Salis crée en 1734 par le baron de Travers d’Ortenstein.
Dès 1789, les Suisses se signalèrent par leur fidélité au roi. Les troubles engendrés par le renvoi de Necker, le 12 juillet, amenèrent le régiment suisse de Salis-Samade à prendre position sur le Champ de Mars. Trente-deux fusiliers de ce régiment renforcèrent la garnison d’invalides qui tenait la Bastille. Lors des événements du 14 juillet, vingt et un d’entre eux y furent massacrés.
Cependant, quelques troupes suisses furent en partie touchées par la vague révolutionnaire. La prise de la Bastille avait eu un effet immédiat : elle relâcha la discipline dans l’armée royale. Et à Nancy, dans le courant d’août 1790, trois cents soldats du régiment de Châteauvieux se mutinèrent et pillèrent la caisse de leur unité. Arrêtés, les mutins furent, conformément aux traités, déférés devant des juges suisses qui en condamnèrent 23 à la peine de mort, 41 à 30 ans de galère et 74 à des punitions disciplinaires. Un an plus tard, 39 d’entre eux, contre l’avis des cantons, furent relaxés et reçus à l’Assemblée aux cris de « Vive la Nation ».
Mais l’attachement des suisses à la monarchie était plus grand que toute rupture idéologique. Le 10 août 1792, 600 gardes suisses trouvèrent la mort pour défendre le roi face l’insurrection révolutionnaire. Le licenciement des soldats suisses en 1792, symboles de la royauté, alla de pair avec la chute de Louis XVI et l’abolition de la monarchie. Cependant, les Suisses ne renièrent pas pour autant le service de la France. Dès 1798, de nouvelles capitulations furent signées et 6 demi-brigades helvétiques furent créées.
Le 27 septembre 1803, une nouvelle capitulation fut signée mettant à nouveau des régiments suisses au service de la France. Le Premier Consul reprenait ici des institutions héritées de l’Ancien Régime et modelées selon sa volonté pour servir sa politique. En effet, huit mois plus tôt, un Acte de Médiation signé à Paris avait restauré les structures fédérales après l’épisode de la République helvétique. L’organisation des dix-neuf cantons paralysait le gouvernement central, réduisant les pouvoirs de la Diète helvétique et du Landammann annuel. Le Premier Consul se réservait un droit de regard comme « médiateur ». Fort de sa position, la France allait négocier à nouveau dans le sens de ses intérêts. Le 27 septembre donc, fut conclu à Fribourg un nouveau traité d’alliance et une capitulation militaire de 25 articles (6) entre le général en chef Ney (7), ministre plénipotentiaire de la République française en Suisse, et les commissaires de la Diète suisse. Remplaçant le traité d’alliance du 1er août 1798 et la convention du 18 novembre de la même année, ce nouveau traité se référait à la paix perpétuelle de 1516 et à l’Acte de Médiation de 1803. Son article 1er proclamait la paix et l’unité entre les deux Républiques. Les articles suivants fixaient les conditions et les modalités d’application de l’alliance défensive de la France et de la Suisse. Quant à la capitulation militaire, elle rappelait dans son préambule que : « Le premier consul de la République, et la Diète helvétique, au nom des 19 cantons suisses, [étaient désireux] de renouveler et comprendre dans une capitulation générale, celles qui ont été conclues antérieurement entre les deux États et qui fixaient l’organisation des régiments suisses, que la France entretenait à son service. » (
Cette capitulation rapprochait les nouveaux régiments du service capitulé de l’Ancien Régime, tout en intégrant les éléments de 1798.
Les trois premiers articles de la capitulation militaire prévoyaient l’organisation des 16 000 hommes engagés volontairement et librement par la République française. Quatre régiments de 4 000 hommes étaient levés. La capitulation fixait de plus un dépôt de 1 000 hommes par régiment, prêts à maintenir les effectifs au complet. Chaque régiment était composé d’un état-major et de quatre bataillons, chaque bataillon de huit compagnies de fusiliers et une de grenadiers. L’article 10 rétablissait la place du colonel général des Suisses : « Cet officier supérieur commandera les troupes suisses qui seront à Paris, et il aura la surveillance sur les autres ; il sera nommé par le premier consul. Il y aura en outre deux généraux de brigade, pour surveiller l’instruction, le service, l’administration et la discipline des 4 régiments capitulés. » (9)
Le recrutement des troupes pouvait se faire sur toute l’étendue de la confédération et les régiments n’avaient aucun caractère cantonal, ce qui constituait une rupture avec l’Ancien Régime. Une interdiction était faite à ces Suisses : « Les troupes suisses qui seront au service de la France, ne seront jamais employées que sur le territoire continental de l’Europe. » (10)
Enfin, ces hommes avaient la garantie de rentrer chez eux si le territoire helvétique était menacé.
Ces régiments, créés par la capitulation de 1803, surent montrer leur bravoure et leur fidélité à l’empereur des français.
Lors de la campagne de Russie, les Suisses perdirent 9 000 hommes. Le 3e régiment helvétique fut cité à l’ordre de l’armée pour ces faits de bravoure lors de la bataille de Polotsk qui se tint du 18 au 20 octobre 1812. De même, les régiments helvétiques s’illustrèrent lors du passage de la Berésina. Au total, 90 000 suisses servirent Napoléon, dont la moitié furent tués.
Cependant, le 2 avril 1815, un décret impérial ordonna la dissolution des régiments suisses, suite au serment qu’ils avaient prêté à Louis XVIII lors de la première restauration (11).
D’autres troupes suisses servirent la France, de 1816 à 1830, jusqu'à leur licenciement définitif. Les troupes étrangères, froissant le sentiment national, furent remplacées par la Légion étrangère avec la loi du 9 mars 1831.
Notes :
1) La sous-série des archives historiques du département de l’armée de Terre du Service historique de la Défense regroupe les archives des Suisses ayant servi la France. Ces archives couvrent une période allant de 1671 à 1830. Cette sous-série regroupe 63 articles. Voir : Thierry Sarmant (dir), Inventaire des archives de la guerre, sous-série Xg, Suisses au service de la France, XVIIe-XIXe siècles, Service historique, Vincennes, 2001.
2) Susane (général Louis), Histoire de l’infanterie française, 8 tomes, Paris, J. Dumaine, 1876. Chiffre calculé par l’auteur.
4) Chagniot (J.), « Le régiment des gardes dans l’alliance franco-suisse », Les gardes suisses et leurs familles au XVIIe et XVIIIe siècles en région parisienne, colloque, Rueil-Malmaison, septembre-octobre 1988. p. 149.
5) SHD/DAT/Xg 13-1. Organisation, législation et levées des régiments suisses de 1671 à 1758. Voir aussi : SHD/DAT/Xg 28 à 39. Sous ces cotes, sont conservées les archives des régiments.
6) SHD/DAT/Xg 2. op.cit.
7) Ney Michel, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa (1769-1815).
Ibid.
9) Ibid.
10) Capitulation générale de 1803, Article 18.
11) Auparavant, deux autres capitulations furent signées. L’une en 1812, sous la menace de l’annexion de la Suisse par la France. L’autre, en 1814, confirmé par Louis XVIII